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L’enfant illégitime de Darwin

Si vous pensez que le livre De l’origine des espèces de Darwin était une idée originale, détrompez-vous!

par (anglais)
traduit par Daniel Arsenault et Julie Charette Lauzon (creationnisme.com)

La paternité du concept de l’évolution par la sélection naturelle est parfois attribuée à Charles Darwin, et il y a effectivement souvent fait référence, dans ses lettres à ses amis, comme étant son cher “enfant”. Cette affirmation est pourtant bien éloignée de la réalité. Au mieux s’agit-il d’un enfant adopté; au pire, d’un enfant illégitime.

Erasmus Darwin et James Hutton — 1794

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James Hutton

Dans la publication de décembre 2003 de la revue Creation, nous avons démontré que le grand-père humaniste de Charles, Erasmus Darwin (anglais), l’a devancé de quelque 65 ans sur le thème de l’évolution avec son livre Zoonomia (1794), et que Charles a repris presque tous les sujets de discussion et exemples abordés dans cette oeuvre lors de la rédaction de son propre livre De l’origine des espèces, publié en 1859.1

Un nouvel élément de preuve indique maintenant qu’un géologue écossais, le Dr James Hutton (1726–1797), a conçu une théorie de la sélection dès 1794. Hutton est surtout connu comme étant l’homme qui a proposé que la Terre était “incommensurablement” vieille, et non âgée que de quelques milliers d’années, parce qu’il rejetait le déluge biblique et, de ce fait, présumait à tort qu’il n’y avait pas eu de catastrophes majeures dans l’histoire primitive de notre planète.2

Paul Pearson, professeur de paléoclimatologie à l’Université de Cardiff, a récemment découvert, à la Bibliothèque nationale d’Écosse, une œuvre non publiée auparavant de trois volumes comportant 2138 pages, écrite par Hutton en 1794. Intitulée An Investigation of the Principles of Knowledge and of Progress of Reason, from Sense to Science and Philosophy [Une étude des principes de la connaissance et du progrès de la raison, du sens à la science et à la philosophie],3 elle contient un chapitre complet sur la théorie de la “variation séminale” élaborée par Hutton.4

Par exemple, Hutton déclare que, parmi des chiens qui ne dépendraient de “rien d’autre que la rapidité de leurs pattes et l’efficacité de leur vue” pour survivre, les individus plus lents périraient et les plus rapides seraient conservés pour perpétuer la race. Mais si un sens aigu de l’odorat était “plus nécessaire à la subsistance de l’animal”, alors “la tendance naturelle de la race, agissant selon le même principe de variation séminale, serait de modifier les qualités de l’animal et de produire une race canine au fin museau au lieu de ceux qui attrapent leur proie par la rapidité”. Et il ajoute que “le même principe de variation” doit également influencer “toutes les espèces de plantes, qu’elles poussent dans une forêt ou dans une prairie”.5

Autres — 1831–1858

Outre James Hutton, plusieurs auteurs ont, bien des années avant Charles Darwin, publié des articles sur le sujet de la sélection naturelle.

William Wells (1757–1817) était un médecin américain d’origine écossaise qui, en 1813, a décrit un concept similaire à la sélection naturelle (publié à titre posthume en 1818). Il a dit que certains habitants d’Afrique centrale “seraient plus aptes que les autres à supporter les maladies du pays. Cette race, par conséquent, se multiplierait, tandis que les autres verraient leur population diminuer”. Il a ajouté que “la couleur de cette race vigoureuse […] serait foncée” et que “comme les plus noirs seraient les mieux adaptés au climat, ce seraient eux qui, à la longue, constitueraient la race la plus répandue, sinon la seule, dans ce pays particulier d’où elle aurait son origine”.6

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Charles Darwin

Patrick Matthew (1790–1874) était un producteur de fruits écossais qui, en 1831, a publié un livre intitulé On Naval Timber and Arboriculture [Du bois naval et de l’arboriculture], dans l’annexe duquel il mentionne brièvement la sélection naturelle et le changement évolutif. Matthew a publiquement affirmé qu’il avait anticipé Charles Darwin, et il se décrivait même, sur ​​les pages de titres de ses livres, comme étant “le découvreur du principe de la sélection naturelle”.

Le professeur Pearson souligne que Wells, Matthew et Charles Darwin ont tous été éduqués dans la ville universitaire d’Edinburgh, “un lieu célèbre pour ses clubs et sociétés scientifiques”, et qui était aussi la ville natale de Hutton. Il fait la suggestion intéressante “qu’un concept à demi oublié de l’époque de ses [Charles] études a refait surface dans son esprit lorsqu’il peinait à expliquer les observations des espèces et de leurs variantes qu’il avait compilées pendant son voyage sur le Beagle”.3

Edward Blyth (1810–1873) est l’homme dont les idées ont sans doute le plus influencé Darwin. Chimiste et zoologiste anglais, Blyth a écrit trois articles importants sur la sélection naturelle, qui ont été publiés dans The Magazine of Natural History [La revue d’histoire naturelle] entre 1835 et 1837.7 Charles était bien au courant de ces derniers. Non seulement s’agissait-il de l’une des principales revues zoologiques de l’époque, dans laquelle ses amis Henslow, Jenyns et Lyell avaient tous publié des articles, mais il semble aussi que l’Université de Cambridge, en Angleterre, détient les propres copies de Darwin de ces numéros contenant les articles de Blyth avec, dans la marge, des notes écrites de la main de Charles!8

La “notice historique” de Charles Darwin

Après la publication de son Origine des espèces en 1859, Charles a été accusé par ses contemporains de ne pas avoir reconnu sa dette envers ces prédécesseurs, ainsi qu’envers d’autres auteurs ayant abordé le sujet de ​​la sélection naturelle. L’allégation devint si forte qu’en 1861, il jugea nécessaire d’ajouter à la troisième édition de son Origine une “notice historique”, dans laquelle il énumère certains de ces auteurs. Puis, sous les feux d’attaques soutenues, il l’élargit dans trois éditions ultérieures jusqu’à ce que, dans la 6e et dernière édition, il mentionne quelque 34 autres auteurs ayant déjà écrit sur ​​l’apparition ou la modification des espèces. Mais il donne très peu de détails sur leurs propos, et ils sont scellés dans la notice historique, en dehors de la discussion principale. Selon Darlington, il s’agit du “récit le moins fiable qui ne sera jamais écrit”.9

Ce n’était pas assez pour le satiriste anglais Samuel Butler. En 1879, il a écrit Evolution Old and New [L’ancienne et la nouvelle évolution], un livre dans lequel il accuse Darwin de minimiser les spéculations évolutionnistes de Buffon, de Lamarck et de son propre grand-père, Erasmus.

Accusations de plagiat des temps modernes

L’un des principaux évolutionnistes modernes à prétendre que Darwin a “emprunté” (certains diraient “plagié”) le travail d’autrui est le défunt Loren Eiseley, qui a été le professeur d’anthropologie et d’histoire des sciences de Benjamin Franklin à l’Université de Pennsylvanie. Eiseley a passé des décennies à retracer les origines des idées attribuées à Darwin. Dans un livre de 1979,10 il affirme que “les principes directeurs du travail de Darwin — la lutte pour l’existence, la variation, les sélections naturelle et sexuelle — se retrouvent tous dans le document de Blyth de 1835”.11 Il évoque également des “blythismes”, l’utilisation par Darwin de mots rares (tel “inosculate”, qui signifie “passer dans”) apparaissant dans l’article de Blyth de 1836, des similitudes dans la phraséologie, et le choix de listes similaires de créatures dans des contextes similaires.12

Le travail d’Eiseley semble avoir encouragé d’autres évolutionnistes du 20e siècle à parler. Darlington a accusé Darwin d’avoir utilisé “un stratagème qui est tout simplement incompatible avec une intégrité intellectuelle même ordinaire”.13 En 1981, Hoyle et Wickramasinghe ont salué la prise de position “courageuse” d’Eiseley et ont écrit: “Darwin était, de son propre aveu, un vorace lecteur des travaux des autres. […] Mais ce n’était pas dans son caractère de payer en retour ce qu’il avait reçu.” Et: “La preuve ne permet d’arriver à aucune autre conclusion que celle que les omissions [de Darwin] étaient délibérées. […] Un grave péché d’omission a besoin d’être racheté par le monde de la biologie professionnelle.”14

Il est vrai que, dans son livre De l’origine des espèces, Charles mentionne sa correspondance avec Blyth ainsi que des informations venant de ce dernier sur les habitudes des zébus de l’Inde, le kiang [âne sauvage du Tibet] et les oies croisées15, mais, comme le note Eiseley: “Blyth est limité au rôle de taxonomiste et d’observateur de terrain.”16 Pourquoi, dès lors, Darwin était-il si réticent à créditer Blyth pour l’élément clé de sa théorie? Pourquoi ne pas citer les textes de Blyth qui traitent directement de la sélection naturelle?

Réponse: Probablement pour deux raisons.

  1. Blyth était chrétien et ce que nous appellerions aujourd’hui un “adepte d’une création spéciale”. Par exemple, concernant les changements saisonniers de coloration des animaux (comme le lièvre de montagne qui devient blanc en hiver), Blyth a déclaré qu’il s’agissait “d’exemples frappants d’ingénierie, qui attestent clairement et avec force de l’existence d’une grande et omnisciente Cause Première”.17 Il a également déclaré que les animaux “manifestent une sagesse surhumaine, puisqu’elle est innée et, de ce fait, inculquée par un Créateur parfaitement sage”.18

  2. Blyth voyait correctement le concept de sélection naturelle comme un mécanisme par lequel les individus malades, vieux et invalides sont éliminés de la population, c’est-à-dire comme un facteur de préservation et de maintien du statu quo — l’espèce créée.19 Les créationnistes comme Edward Blyth (et le théologien anglais William Paley) voyaient la sélection naturelle comme un processus d’élimination permettant de choisir entre plusieurs traits, qui doivent tous d’abord exister avant de pouvoir être sélectionnés.

Conclusion

L’histoire a accordé à Charles Darwin la douteuse paternité de l’idée de l’évolution par la sélection naturelle. Outre le fait que la sélection elle-même, tout en étant un phénomène véritable, est totalement impuissante à fournir les informations supplémentaires nécessaires à la production de nouveaux traits, la plupart, sinon la totalité, des grandes idées attribuées à Darwin avaient déjà été traitées dans les publications d’autres auteurs. Non seulement ce “cher enfant” de Darwin n’était-il pas vraiment sien, mais il avait également plusieurs pères!

L’équité ou la peur?

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Alfred Russel Wallace

Alfred Russel Wallace (1823-1913), lorsqu’il vivait à Ternate dans l’archipel malais, a indépendamment développé une théorie de l’évolution presque identique à celle de Charles Darwin.1 En 1858, il a envoyé à ce dernier une copie de son manuscrit sur ​​la sélection naturelle, intitulé On the Tendency of Varieties to Depart Indefinitely From the Original Type [Sur la tendance des variantes à s’écarter indéfiniment du type original], qui présente de façon complète ce qui est maintenant connu comme étant la théorie darwinienne de l’évolution.2 Les amis de Darwin, Charles Lyell et Joseph Hooker, se sont immédiatement arrangés pour que le manuscrit de Wallace, ainsi que deux articles alors non publiés de Charles Darwin (un essai de 1844 et une lettre de 1857 à Asa Gray), soient lus à la réunion suivante de la Société linnéenne de Londres, le 1er juillet 1858. L’événement a été euphémiquement qualifié de lecture d’un “document commun”, mais le tout s’est déroulé sans la participation personnelle de Wallace, et même à son insu et sans sa permission, alors qu’il était encore sur une île au large de la côte de la Nouvelle-Guinée! Cela a également poussé Charles à précipiter l’écriture de son Origine des espèces, et à le publier le 24 novembre 1859. Certains ont vu cette prétendue lecture d’un “document commun” comme un geste pas très franc-jeu de la part de Darwin, mais plutôt comme le résultat de sa peur d’être devancé par Wallace. Brackman dit: “C’est Wallace, et non pas Darwin, qui a écrit le premier ​​la théorie complète de l’origine et de la divergence des espèces par la sélection naturelle … et a été privé de sa paternité dans la divulgation de la théorie en 1858”.3

Références et notes

  1. Wallace avait amorcé sa réflexion sur le sujet dès 1845, ce qui l’avait amené à publier un document assez général dans la revue Annals and Magazine of Natural History (Annales et magazine d’histoire naturelle), septembre 1855. Voir réf. 2, p. 78.
  2. Eiseley dit: “C’était la conception non publiée de Darwin, reproduite de façon indépendante jusqu’au dernier détail par un homme assis dans une cabane au fin fond du monde.” Eiseley, L., Alfred Russel Wallace, Scientific American 200(2):80, février 1959. [Traduction libre]
  3. Brackman, A., A Delicate Arrangement: The Strange Case of Charles Darwin and Alfred Russel Wallace [Un arrangement délicat: L’étrange cas de Charles Darwin et Alfred Russel Wallace], Times Books, New York, p. xi, 1980.

Articles connexes

Références et notes

  1. Grigg, R., Darwinisme: Une histoire de famille (anglais), Creation (Création) 26(1):16–18, 2003. Retour au texte.
  2. Les vues de Hutton ont été résumées par la phrase suivante: “Le présent est la clé du passé.” L’idée erronée de Hutton est maintenant parfois appelée l’uniformitarisme. Retour au texte.
  3. Revu par Paul Pearson dans Nature 425(6959):665, 16 octobre 2003. Retour au texte.
  4. Pearson dit que Hutton utilise le mécanisme de sélection pour expliquer l’origine des variantes dans la nature », bien qu’“il rejette expressément l’idée d’une évolution entre les espèces, la qualifiant de ‘fantaisie romantique’”. [Traduction libre] Retour au texte.
  5. Cité dans la réf. 3. Retour au texte.
  6. Cité par Stephen Jay Gould dans Gould, S., Natural selection as a creative force, The Structure of Evolutionary Theory, Belknap Press of Harvard University, Massachussetts, USA, p. 138, 2002. Traduction libre. Retour au texte.
  7. Blyth, E., The Magazine of Natural History (La revue d’histoire naturelle) Volumes 89 et 10, 1835–1837. Provenant de la réf. 8, Annexes. Retour au texte.
  8. Source: Bradbury, A., Charles Darwin—The truth? (Charles Darwin – La vérité?) Part 7 – The missing link (Le chaînon manquant), www3.mistral.co.uk/bradburyac/dar7.html, 30 octobre 2003. Retour au texte.
  9. Darlington, CD, The origin of Darwinism (L’origine du darwinisme), Scientific American 200(5):61, mai 1959. Traduction libre. Retour au texte.
  10. Eiseley, L., Darwin and the Mysterious Mr X (Darwin et le mystérieux monsieur X), EP Dutton, New York, 1979, publié à titre posthume par les exécuteurs de sa volonté; de Eiseley, L., Charles Darwin, Edward Blyth, and the Theory of Natural selection (Charles Darwin, Edward Blyth et la théorie de la selection naturelle), Proceedings of the American Philosophical Society (Procédures de la Société philosophique américaine) 103(1):94–114, février 1959. Retour au texte.
  11. Réf. 10, p. 55. Traduction libre. Retour au texte.
  12. Réf. 10, p. 59–62. Retour au texte.
  13. Darlington, CD, Darwin’s Place in History (La place de Darwin dans l’histoire), Basil Blackwell, Oxford, p. 60, 1959. Traduction libre. Retour au texte.
  14. Hoyle, F. et Wickramasinghe, C., Evolution from Space (L’évolution à partir de l’espace), Paladin, Londres, p. 175–179, 1981. Traduction libre. Retour au texte.
  15. Darwin, C., L’Origine des espèces, 6e éd., John Murray, London, 1902, p. 21, 199, et 374, respectivement. Retour au texte.
  16. Réf. 10, p. 52. Traduction libre. Retour au texte.
  17. Blyth, E. (1835), réf. 7. Traduction libre. Retour au texte.
  18. Blyth, E. (1837), réf. 7. Traduction libre. Retour au texte.
  19. Wieland, C, Muddy waters: Clarifying the confusion about natural selection (anglais) (Les eaux boueuses: Clarifier la confusion au sujet de la sélection naturelle), Creation (Création) 23(3):26–29, 2001. Retour au texte.